Coops-négoces : ces métiers qui émergent

Plusieurs facteurs peuvent influencer les métiers et leur émergence. DRH du groupe coopératif Euralis, Thierry Souchon en pointe ainsi trois principaux : « Des cycles d’évolution de plus en plus rapides, le retour à l’agroécologie, et un cadre réglementaire évoluant pour répondre aux attentes sociétales ». Il cite ainsi pour premier métier impacté « celui du conseil aux agriculteurs, en passant d’un statut de vendeur de produits phytosanitaires (que l’on ne vend plus dans le cadre de la séparation conseil et vente) à un métier de conseiller d’exploitation assorti de tout un plan de formation (lire pp. 35-36) ». Et ce, avec un développement de l’expertise agronomique s’appuyant sur une meilleure exploitation des données. Ce qui a amené à faire émerger des fonctions de chargé de développement de logiciel parcellaire ou digital, en plein déploiement.

L’avènement du digital conduit en effet à lui dédier des postes en pleine expansion, comme en témoigne le DRH de NatUp (ci-contre) ou le groupe Lur Berri (p. 33). Les plus petites structures empruntent aussi cet élan à l’image de Johann Landreau, DG du négoce Landreau Groupe, qui envisage de recruter en 2024 un profil digital et « de préférence un geek ! ». Quant à l’usage qui est fait de la donnée, il génère depuis cinq ans l’arrivée progressive de data analyst dans les entreprises. Lur Berri vient ainsi d’en accueillir un. Les métiers autour de la data embrassent plusieurs enjeux. Olivier Claux, dirigeant du cabinet MG Consultants, en souligne un en particulier concernant les coopératives : « c’est celui de ne pas perdre l’agriculteur. La mutualisation des données peut contribuer à ce que l’adhérent se sente chez lui en se sentant reçu dans les différentes divisions de la coopérative. »

L’arrivée de la « compliance »

La montée en puissance de la RSE amène aussi à des nouvelles prises de fonction, soit par l’évolution en interne des missions (p. 30), soit par un recrutement externe. Le négoce Bernard a ainsi choisi son nouvel HSE en raison également de sa dimension RSE (p. 31). Pour sa part, NatUp réfléchit à la création d’un poste dédié. De son côté, la Fédération du négoce agricole va se doter d’un chargé RSE en CDD. Par ailleurs, on observe l’émergence de fonctions encore peu courantes dans notre secteur et qui pourraient à leur tour prendre de l’ampleur.

Pour exemple, la mise en place d’une démarche d’amélioration continue chez Axéréal avec un poste dédié (p. 28). Ou encore la création d’une direction conformité il y a deux ans chez Euralis, avec trois collaborateurs déjà présents en interne, ou d’un département « compliance », avec deux personnes rattachées, en octobre 2023 au sein de la direction juridique du groupe Even. Des initiatives poussées par l’entrée en vigueur du RGPD et d’un ensemble de textes législatifs (loi Sapin 2 sur l’anticorruption, déclaration extra-financière, devoir de vigilance, lutte contre le blanchiment des capitaux…). Even a constitué un comité compliance présidé par Dominique Cloarec, directeur juridique et compliance. Et Euralis s’est équipé d’outils informatiques pour notamment piloter les actions relatives au respect du RGPD.

Des profils atypiques

Parmi les autres fonctions support qui se structurent, citons la communication qui, pour le DRH d’Euralis, « est une composante de nos métiers car on a besoin d’expliquer et de faire savoir. Cette compétence est à structurer dans un poste ou doit être partie intégrante des métiers actuels ou qui émergent. » C’est une fonction qui « se développe et devient pointue », selon Olivier Claux, car « les entreprises ont besoin de communiquer vers les clients, les partenaires, le grand public et pour recruter ». Du côté des négociants notamment, cette communication s’organise et se structure avec la création de postes dédiés comme récemment chez Appro Vert (p. 32) ou Magne. Et à défaut de pouvoir recruter spécifiquement un poste, le recours à des fonctions en temps partagé, via des groupements d’employeurs comme Vénétis ou des CAE telle Suite 126, ou autre cabinet, peut être une solution. Une option choisie par le négoce Renaud pour confier certaines missions RH à une tierce personne (lire encadré). Outre une offre diversifiée de fonctions supports, Vénétis organise des ateliers de partage d’expériences ou encore la mutualisation de formations. De son côté, Stéphane Delhaye, de la CAE Suite 126, accompagne déjà des négociants agricoles du Naca sur « les fiches de poste, le plan de développement des compétences, la réalisation d’entretiens, le recrutement, les plans d’intégration des salariés… ».

Dans les fonctions plus opérationnelles, la logistique est devenue le talon d’Achille qui fait rechercher des profils atypiques. Ainsi, Johann Landreau souhaite trouver « un créatif dans l’ingénierie logistique » dans le cadre de son projet d’un pôle logistique pour ses activités agricoles et matériaux. De son côté, Paul Bidaut, cogérant d’Issipa, cherche à « recruter un super logisticien pour gérer uniquement les urgences pour tout le groupe. Nous voulons une personne qui saura trouver des solutions afin d’offrir de l’ultra-service à nos clients agriculteurs. Un client dépanné est un client satisfait et il se le rappellera. »

Ça se structure

Devenu un enjeu économique, le poste énergie amène à étoffer les équipes. Le groupe Bernard a ainsi accueilli « une personne chargée de développer le photovoltaïsme en interne et sur les exploitations au travers de partenariats », décrit Xavier Bernard, son président. De même, un nouveau métier de chef de projets photovoltaïques est né au sein d’Eurasolis, filiale d’Euralis.

D’autres fonctions proches du terrain se développent, notamment chez les négoces, telles que responsable services et OAD ou encore responsable commercial, « qui est un métier qui émerge de plus en plus dans nos négoces pour les structures qui prennent de l’ampleur », précise Evelyne Cussac, directrice des ressources humaines et de la communication du réseau de négoce agricole Impaact. Le diagnostic carbone, la HVE ou l’agriculture régénérative sont aussi autant de démarches qui suscitent de nouvelles missions, voire un poste totalement dédié comme celui de Chloé Rouvreau à la Cavac (p. 34). Tout comme les biostimulants chez Perret (p. 34). Pour développer des filières à valeur ajoutée, Solenn Kermorvant fait de la veille sur les nouvelles protéines chez Agrial (p. 29) et Euralis a réorganisé ses fonctions marketing chargées désormais de construire des offres agriculteurs en partant du consommateur final, à l’exemple du kiwi et des légumes secs. Cette recherche de l’adéquation de l’offre avec le marché génère des offres d’emploi nouvelles, ainsi que l’observe Laurent-Guy Le Louette, du cabinet Cathala Conseils : « Dans les derniers postes ouverts, nous avons une coopérative, avec une activité amont et agroalimentaire, qui recherche un directeur de category management (catman) qui va travailler à la bonne réponse de l’offre en direction du marché. Un tel poste existe déjà depuis des années en grande distribution et c’est la première fois que nous sommes sollicités par une coopérative sur ce type de fonction. Ce nouveau directeur fera en sorte que l’amont et l’aval de l’entreprise communiquent mieux ensemble. »